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Peut-on faire confiance à un ministère qui porte un nom de vertu ?

Publié par Michel Morvan le

Vous souvenez-vous de l’étonnant 1984, de Georges Orwell, où le ministère de la Vérité se charge de la propagande du parti totalitaire au pouvoir, et le ministère de l’Amour de traquer impitoyablement tout rapprochement sentimental ?

Dans la vie réelle, si l’on regarde bien, les gouvernements – est-ce par cynisme ou par dérision ? – usent et abusent encore de ces dénominations décalées. Par exemple, vous trouvez le ministère des droits humains au Burkina Faso, où pullulent les « exécutions extra-judiciaires », et en République démocratique du Congo où sévit l’interdiction de manifestation pacifique, la détention politique et la répression brutale instituée en mode de gouvernement[i]. Mais la palme en cette matière pourrait être décernée au ministère de la promotion de la vertu et de la répression du vice institué… en Arabie Saoudite, dont une partie de la population migre chaque week end vers les bars glauques des rues chaudes de Bahreïn.

La palme, dites-vous ? Que penser alors de notre pauvre ministère français de la Justice, souffrant d’un délai moyen d’écoulement des affaires de 353 jours ?[ii] Sommes-nous prêts à supporter les conséquences injustes des tribunaux surchargés et du manque de moyens ?

On se réjouit de la réactivité du parquet à engager des poursuites pénales (et des frais de justice !) quand un ancien président de la République libidineux a porté la main sur la rotondité d’une journaliste. Mais qu’en est-il des milliers d’affaires en souffrance, qui tombent dans l’oubli alors que les victimes désespèrent que justice leur soit rendue ?

Parmi ces victimes, il en est de singulières, victimes du système lui-même. Non pas que tous ces justiciables dans l’attente d’une décision sans cesse différée ne puissent prétendre à ce titre ; mais parmi elles, les victimes d’erreurs judiciaires attendant la révision de leur procès sont les plus à plaindre. Parce qu’elles auront vécu la stigmatisation, l’humiliation, la dégradation, sans aucun espoir de voir un jour restituée leur dignité perdue. Parce qu’elles souffrent de l’injustice générée par la Justice elle-même.

Courbés sous le joug, les magistrats se sont accoutumés à leurs œillères, perdant ainsi de vue la noblesse de leur tâche. Au point de déréliction atteint par le système, rendre la justice est devenue une idée folle ; mais ne point commettre délibérément d’injustices pourrait être un objectif atteignable. Par exemple en acceptant l’idée que la Justice puisse se tromper, et en mettant un point d’honneur à admettre et réparer ses fautes.

Un exemple criant de dysfonctionnement est l’affaire Lefort, retracée dans le livre Justice, pour l’honneur d’un prêtre. Onze années d’instruction, un procès sous le signe de l’emballement médiatique et judiciaire, huit années d’emprisonnement prononcées, onze années d’espoir que la justice examine méthodiquement les erreurs qui ont pu entacher l’administration de la preuve. Vingt-six années de frustration. François Lefort est l’un de ces milliers de malheureux qui désespèrent que justice leur soit rendue un jour.

La décision d'irrecevabilité prise par la chambre criminelle de la cour de cassation en septembre malgré la rétractation de plusieurs victimes n’est qu’une pierre de plus sur ce chemin escarpé. François Lefort luttera jusqu’à son dernier souffle pour que son innocence soit reconnue.

[i] Rapport 2019 d’Amnesty international

[ii] Etudes n°26 de la CEPEJ (Commission européenne pour l’efficacité de la Justice)


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